
AUDIENCE DE RÈGLEMENT TENUE EN VERTU DE L’ARTICLE 24.4 DU STATUT NO 1 DE L’ASSOCIATION CANADIENNE DES COURTIERS DE FONDS MUTUELS
Re Wealthsimple Advisor Services Inc.
Motifs de la décision
Jury d'audition du conseil régional du Centre:
- Martin L. Friedland, C.C., c.r., Président
- Patrick Galarneau, Membre représentant le secteur
- Brigitte J. Geisler, Membre représentant le secteur
Appearances:
Paul Blasiak, Avocat principal de la mise en application pour l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels
Kenneth A. Dekker, Avocat de l’intimée
Blair Wiley, Chef des affaires juridiques de l’intimée, Wealthsimple Advisor Services Inc.
Le contexte
- En l’espèce, il s’agit d’une audience de règlement tenue en vertu de l’article 24.4 du Statut No1 de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (ACFM). L’audience s’est tenue par vidéoconférence le 23 novembre 2022. L’entente de règlement intégrale conclue le 31 octobre 2022 entre le personnel de l’ACFM et Wealthsimple Advisor Services Inc. (l’intimée) est disponible sur le site Web de l’ACFM. L’intimée a comparu à l’audience et elle était représentée par un avocat.
- Le jury d’audience (le jury) a accepté l’entente de règlement proposée au terme de l’audience et a précisé que ses motifs suivraient. Ci‑après figurent les motifs de sa décision d’accepter l’entente.
- Wealthsimple est une société fondée en 2014 qui, entre autres, offre aux investisseurs des solutions de placement passives et automatisées au moyen de ce que l’on appelle couramment un robot-conseiller.
- L’une des sociétés de Wealthsimple est l’intimée, Wealthsimple Advisor Services Inc., laquelle est membre de l’ACFM depuis le 4 octobre 2018 et est inscrite dans l’ensemble des provinces et territoires du Canada à titre de courtier en épargne collective.
- Le 15 mai 2020, l’intimée a avisé l’ACFM par écrit de son intention de démissionner de l’ACFM. Au cours des sept mois qui ont suivi, elle a mis fin à ses activités, avisé ses personnes autorisées et ses clients qu’elle avait mis fin à ses activités, facilité le transfert des placements de ses clients à d’autres entités, puis fermé tous les comptes de ses clients. Le 22 décembre 2020, l’intimée a volontairement suspendu son inscription dans l’ensemble des provinces et territoires.
- La qualité de membre de l’ACFM de l’intimée est actuellement inscrite comme « inactive-démission à venir ». La démission de l’intimée prendra effet au terme de l’instance.
- Au cours de la période des faits reprochés, l’intimée avait son siège social à Toronto (Ontario).
- Le 6 septembre 2022, l’ACFM a publié un avis d’audience de règlement énonçant ce qui suit :
- [Traduction] « L’entente de règlement proposée porte sur les allégations suivantes :
- De février 2019 à août 2019, l’intimée a mis en œuvre un processus d’intégration de personnes autorisées d’autres membres de l’ACFM et de courtiers en placement, processus qui a échoué à garantir que les clients consentaient à la transmission de leurs renseignements confidentiels à une société du même groupe que l’intimée. Ainsi, elle a manqué à son obligation de mettre en œuvre un système adéquat de contrôle et de surveillance de son processus d’intégration, en contravention avec les articles 2.1.3, 2.5.1 et 2.1.1 des Règles de l’ACFM.
- Du 1eravril 2019 au 27 mai 2019, l’intimée a manqué à son obligation de mettre en œuvre un système adéquat de contrôle et de surveillance de son processus d’intégration de personnes autorisées d’autres membres de l’ACFM et de courtiers en placement en n’empêchant pas le personnel d’une société du même groupe de consulter le système d’un autre membre de l’ACFM en vue d’aider une personne autorisée nouvellement arrivée à transférer des renseignements confidentiels de clients sans que l’autre membre de l’ACFM ne soit au courant ou n’ait donné son consentement, en contravention avec les articles 2.1.3, 2.5.1 et 2.1.1 des Règles de l’ACFM. »
Le terme « intégration » (« onboarding », en anglais) désigne les processus permettant d’intégrer de nouvelles personnes dans une organisation. En 2019, l’intimée sollicitait des personnes autorisées inscrites chez d’autres membres de l’ACFM et des courtiers en placement pour qu’elles transfèrent leurs inscriptions et leur clientèle chez elle.
- [Traduction] « L’entente de règlement proposée porte sur les allégations suivantes :
- L’article 2.1.3, qui porte sur les renseignements confidentiels, se lit comme suit :
- Le membre, ses personnes autorisées et autres employés et mandataires doivent garder confidentiels tous les renseignements que le membre a reçus relativement à un client ou à l’entreprise ou aux affaires d’un client. Aucun renseignement de cette nature ne doit être divulgué à une autre personne ou utilisé au bénéfice du membre ou de ses personnes autorisées ou autres employés et mandataires sans le consentement préalable écrit du client sauf tel qu’il est requis ou autorisé par une procédure judiciaire ou une autorité prévue par la loi ou lorsque ces renseignements sont raisonnablement nécessaires pour fournir un produit ou un service que le client a demandé.
- Chaque membre doit établir et maintenir des politiques et des procédures écrites en matière de confidentialité et de protection des renseignements qu’il détient à l’égard des clients.
- L’article 2.5.1 se lit comme suit : « Chaque membre doit établir, mettre en application et maintenir des politiques et des procédures visant à assurer que la conduite de ses affaires est conforme aux Statuts, aux Règles et aux Principes directeurs ainsi qu’aux lois sur les valeurs mobilières applicables. »
L’entente de règlement
- Le personnel et l’intimée conviennent des modalités de règlement suivantes, lesquelles sont énoncées dans le paragraphe 5 de l’entente de règlement :
- [traduction]
- l’intimée doit payer une amende de 100 000 $ en vertu du paragraphe 24.1.2(b) du Statut No1 de l’ACFM, et ce, en fonds certifiés à la date où l’entente de règlement est acceptée par un jury d’audience;
- l’intimée doit payer une somme de 20 000 $ au titre des frais en vertu de l’article 24.2 du Statut No1 de l’ACFM, et ce, en fonds certifiés à la date où l’entente de règlement est acceptée par un jury d’audience.
- [traduction]
- Le paragraphe 6 de l’entente de règlement indique que « [traduction] le personnel et l’intimée acceptent le règlement compte tenu des faits énoncés dans l’entente de règlement et conviennent de l’ordonnance jointe […] ».
Les faits
- Les faits convenus sont exposés aux paragraphes 7 à 37 de l’entente de règlement et ne seront pas repris ici en entier.
- L’intégration a été facilitée par une autre société du même groupe que l’intimée, Wealthsimple Technologies Inc. (WSTI). WSTI a fourni des services technologiques, dont des services de stockage de données infonuagique et de gestion de données, à l’intimée et à d’autres sociétés du même groupe.
- L’intimée et WSTI étaient des filiales en propriété exclusive d’une même société de portefeuille. Elles étaient des sociétés liées et elles exerçaient leurs activités dans les mêmes bureaux. L’intimée était responsable de la conduite de WSTI en ce qui concerne l’affaire sur laquelle portait l’audience.
- En bref, les faits pertinents qui sont énoncés dans l’entente de règlement et dont ont convenu le personnel et l’intimée sont les suivants en ce qui concerne l’allégation a) mentionnée précédemment au paragraphe 8 :
- L’intimée a conçu et mis en œuvre un processus d’intégration de personnes autorisées d’autres membres de l’ACFM et de courtiers en placement dans le cadre duquel les personnes autorisées fournissaient à WSTI des renseignements confidentiels sur les clients dont elles s’étaient occupées des comptes chez d’autres courtiers, et ce, avant d’avoir été inscrites chez l’intimée.
- L’intimée a utilisé WSTI comme intermédiaire afin de stocker les renseignements des clients dans un portail que WSTI maintenait en prévision du transfert de l’inscription des personnes autorisées auprès de l’intimée.
- Cependant, l’intimée a manqué à son obligation de s’assurer que les clients avaient consenti à fournir leurs renseignements à WSTI. Ni WSTI ni l’intimée n’ont vérifié de manière indépendante que la personne autorisée avait obtenu le consentement et l’autorisation des clients pour transmettre leurs renseignements à WSTI.
- Les clients ont été invités à accéder au portail de WSTI où ils pouvaient donner leur consentement pour la transmission de leurs renseignements personnels à l’intimée. Cela s’est produit une fois que les renseignements sur les clients avaient déjà été transmis à WSTI.
- De février à août 2019, dans le cadre du processus d’intégration, 20 personnes autorisées ont fourni à WSTI les renseignements sur un total de près de 3 000 clients.
- En bref, les faits qui concernent l’allégation (b) mentionnée précédemment au paragraphe 8 sont les suivants :
- À deux occasions (le 1eravril 2019 et le 27 mai 2019), pendant le processus d’intégration d’une personne autorisée inscrite chez un autre membre de l’ACFM, le personnel de WSTI a obtenu et consulté des renseignements sur des clients à partir du système de l’autre membre afin d’aider la personne autorisée à transférer les renseignements sur les clients à WSTI.
- L’autre membre n’était au courant d’aucune de ces activités et jamais il n’a donné son consentement à WSTI ni à aucune autre partie du même groupe que l’intimée pour l’accès au contenu du système ou sa consultation, la création ou la réception de rapports à partir du système ni l’obtention de renseignements sur les clients à partir du système.
L’inconduite
- L’inconduite en cause concerne le manquement de l’intimée à son obligation de mettre en œuvre un système adéquat de contrôle et de surveillance de son processus d’intégration :
- en manquant à son obligation de s’assurer que les clients potentiels avaient consenti à la transmission de leurs renseignements confidentiels à WSTI, une société du même groupe que l’intimée;
- en manquant à son obligation d’empêcher le personnel de WSTI d’accéder au système d’un autre membre de l’ACFM et de le consulter afin d’aider une personne autorisée recrutée à transférer les renseignements confidentiels de clients sans que l’autre membre de l’ACFM le sache et y ait consenti.
- L’article 2.1.3 susmentionné exige le consentement préalable du client.
- De précédents jurys d’audience de l’ACFM ont statué qu’il n’est pas permis de transmettre les renseignements sur le client à un tiers sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du client. Voir Re Roche [2014], dossier de l’ACFM no 201420; Re Scott [2017], dossier de l’ACFM no 201647; Re Wighton [2020], dossier de l’ACFM no Au paragraphe 19 de la décision Wighton, le jury a affirmé ceci : « [traduction] Comme l’a affirmé le jury au paragraphe 12 de la décision Re Roche : “[traduction] Lorsque des renseignements sur le client sont transmis sans le consentement du client, le droit du client à la protection des renseignements personnels s’en trouve irrévocablement compromis et le client touché perd le contrôle quant à l’endroit où se trouvent ses renseignements personnels et l’endroit où ils pourraient se trouver ensuite.” ».
- Les clients fournissent des renseignements personnels et financiers détaillés à leur conseiller et courtier membre. Cela comprend des renseignements qu’un client transmettrait rarement à un tiers, comme ses numéros de comptes de placement ou de banque, les sources et les montants de ses revenus gagnés, ses dettes et sa valeur nette.
- La vigilance à l’égard de la transmission de renseignements confidentiels est particulièrement importante à l’ère numérique. Comme la Cour d’appel de l’Ontario l’a souligné au paragraphe 67 de sa décision dans l’affaire Jones Tsige 2012 ONCA 32 : « [traduction] Internet et les outils technologiques numériques ont énormément changé la manière dont nous communiquons et notre capacité à saisir, à stocker et à retrouver de l’information. Comme en témoignent les faits en l’espèce, les bases de données électroniques qui sont conservées de manière régulière rendent vulnérables nos renseignements financiers les plus personnels. »
- En l’espèce, les politiques de l’intimée étaient inadéquates pour prévenir la transmission de renseignements confidentiels.
- Au paragraphe 4 de l’entente de règlement, l’intimée admet avoir « [traduction] manqué à son obligation de mettre en œuvre un système adéquat de contrôle et de surveillance de son processus d’intégration » et « [traduction] manqué à son obligation d’empêcher le personnel d’une société du même groupe de consulter le système d’un autre membre de l’ACFM en vue d’aider une personne autorisée nouvellement arrivée à transférer des renseignements confidentiels de clients sans que l’autre membre de l’ACFM ne soit au courant ou n’ait donné son consentement. »
L’acceptation de l’entente de règlement
- Comme il a été mentionné précédemment, le jury a accepté les modalités de l’entente de règlement. Le jury peut accepter ou rejeter une entente de règlement. Il ne peut pas la modifier.
- En l’espèce, l’inconduite est grave. La transmission de renseignements sur le client sans l’autorisation préalable du client est toujours grave.
- Il y a cependant un certain nombre de facteurs atténuants. L’intimée a établi un processus pour le traitement des nouveaux comptes (voir paragraphe 14 de l’entente de règlement), mais il était inadéquat.
- Rien n’indique que des clients ont subi des pertes ou ont déposé des plaintes, et rien n’indique que l’intimée a tiré un avantage de la conduite qui fait l’objet de l’audience.
- L’intimée n’a jamais été visée par une instance disciplinaire de l’ACFM.
- En concluant l’entente de règlement, l’intimée a épargné à l’ACFM le temps, les ressources et les dépenses nécessaires à la tenue d’une audience complète portant sur les allégations.
- L’amende de 100 000 $ est conforme aux Lignes directrices sur les sanctions et aux nombreuses décisions que nous a citées l’avocat. Dans trois de ces décisions, où il y a eu une entente de règlement, le jury a imposé une amende de 100 000 $ : voir Re Portfolio Strategies Corporation [2020], dossier de l’ACFM no 202032; Re Investia Financial Services et Re FundEX Investments Inc. [2012], dossiers de l’ACFM no 201031 et 200932; Re IPC Investment Corporation [2017], dossier de l’ACFM no 201659.
- L’amende de 100 000 $ et la somme de 20 000 $ au titre des frais constituent des mesures importantes de dissuasion générale et spécifique.
- Les règlements peuvent jouer un rôle important et utile dans l’atteinte des objectifs de réglementation des valeurs mobilières. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit dans la décision C. Securities Commission v. Seifert [2007] B.C.J. No. 2186, au paragraphe 49 (B.C.C.A.) :
- [Traduction] « Les règlements aident la Commission à s’assurer qu’elle atteint son principal objectif, qui est la protection du public. Les règlements proscrivent les activités qui nuisent au public. Ce faisant, ils contribuent à la réalisation des objectifs de la loi. Ils permettent de trouver une solution souple et adaptée aux intérêts de la Commission et des personnes visées par l’enquête. »
- Les jurys doivent respecter les règlements négociés par les parties. Le règlement en l’espèce a été négocié pendant plusieurs semaines par des avocats expérimentés. Un jury ne sait pas ce qui a mené à un règlement; il ne connaît ni les concessions mutuelles faites par les parties au cours des négociations ni les motifs qui ont poussé les parties à accepter de régler l’affaire. Les jurys ne peuvent pas outrepasser les modalités de l’entente de règlement. Il arrive presque toujours que des faits ayant joué un rôle dans le règlement ne soient pas indiqués dans l’entente de règlement ni portés à l’attention du jury.
- Comme un jury l’a souligné dans la décision Re Keshet [2014], dossier de l’ACFM no 201419 au paragraphe 7, pour citer l’une des nombreuses décisions similaires : [traduction] « Il est bien établi que le jury ne doit pas s’ingérer à la légère dans un règlement négocié ni rejeter une entente de règlement à moins qu’il n’estime que la sanction proposée se situe clairement à l’extérieur d’une fourchette raisonnable d’adéquation ». Des observations similaires ont été formulées par des jurys de l’ACFM dans de nombreuses autres décisions qui découlent de la décision Re Milewski [1999] I.D.A.C.D. No. 17, dans laquelle il a été énoncé ce qui suit :
- [Traduction] « Le conseil de section qui considère une entente de règlement n’aura pas tendance à modifier une sanction dont il juge qu’elle se situe dans une fourchette raisonnable, compte tenu de la procédure de règlement et du fait que les parties se sont entendues. Il ne rejettera pas une entente à moins qu’il estime qu’une sanction se situe clairement à l’extérieur d’une fourchette raisonnable d’adéquation ».
- La sanction et la somme au titre des frais convenues en l’espèce se situent à l’intérieur d’« une fourchette raisonnable d’adéquation ».
- Pour les motifs susmentionnés, le jury a accepté l’entente de règlement.
-
Martin L. Friedland, C.C., c.r.Martin L. Friedland, C.C., c.r.Président
-
Patrick GalarneauPatrick GalarneauMembre représentant le secteur
-
Brigitte J. GeislerBrigitte J. GeislerMembre représentant le secteur
899311